Meurtre au nouvel Observateur, roman
EAN13
9782809801361
ISBN
978-2-8098-0136-1
Éditeur
Archipel
Date de publication
Collection
Roman français
Nombre de pages
260
Dimensions
24 x 16 cm
Poids
274 g
Langue
français
Code dewey
849
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Meurtre au nouvel Observateur

roman

De

Archipel

Roman français

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DU MÊME AUTEUR

La Tache rouge, illustrations de Galou, Éditions Pour penser à l'endroit, 2009.

Dans les coulisses du Nouvel Observateur, récit d'un maquettiste au cœur d'un grand hebdomadaire, préface de Jérôme Garcin, L'Harmattan, 2006.

www.editionsarchipel.com

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34, rue des Bourdonnais 75001 Paris.
Et, pour le Canada, à
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Montréal, Québec, H3N 1W3.

eISBN 978-2-8098-0920-6

Copyright © L'Archipel, 2010.

à Marc,
mon frère jumeau

Écrire un roman, c'est faire du vrai avec du faux,
et du faux avec du vrai.

Franz-Olivier Giesbert, L'Immortel

1

— On en est où de la DH ? interroge Daniel Hérault, le directeur de la rédaction, en pénétrant dans la salle de la maquette.

— Il ne manque plus que le papier de Marianne.

La DH, c'est le dernier cahier, la dernière heure. C'est comme ça qu'on l'appelle. La dernière heure n'en est pas une. Elle est plurielle. Elle dure le temps d'une fin d'après-midi fiévreuse dans la fougue de l'actualité. En trois ou quatre heures, on boucle le journal. On bricole. On finalise. On envoie les dernières pages à l'imprimerie. Et ça grouille de partout dans une tension qui crispe les choix et accélère les décisions.

Maintenant que le plus gros des papiers est envoyé, l'effervescence est retombée. Je suis le seul maquettiste à être resté. J'assure le bouclage.

Sur le grand chemin de fer affiché de travers sur la vitre du secrétariat de rédaction, il reste donc ces trois rectangles vierges. Les autres sont biffés d'un trait rouge. Trois pages. Une enquête sur les réseaux mafieux de Poutine. L'auteur n'est autre que Marianne Schreiber, grand reporter chevronné, spécialiste des questions russes.

Cela faisait longtemps que nous ne l'avions pas vue. Marianne était en congé maladie. Accumulation de fatigue et petite déprime suite au décès de sa mère. À cette heure, elle doit encore être à l'étage supérieur, ajoutant un élément ou modifiant une phrase. Le sujet est sensible. C'est sans doute pour ça que le papier tarde. J'ai ouvert devant moi les gabarits vierges sur mon écran. J'attends. À coup sûr, le chef de fab va apparaître pour faire activer les choses. Il va nous répéter sur un ton de colère rentrée que, si ça continue, les abonnés de Toulouse ne seront pas servis à temps.

Ça n'a pas loupé. Il est là, devant moi.

— Alors, ça avance ?

Et le papier n'est toujours pas là. Les bureaux se sont vidés. Les bruits du couloir ont disparu. Des lumières se sont éteintes. Et la nuit extérieure se fait plus présente.

Ça y est. Il est là. Je fais couler le texte dans les colonnes. La mise en pages peut commencer. Un léger stress m'accompagne quand je bouge ma souris et façonne les pages. Je sens le poids du temps perdu et la sourde attente du service fabrication.

Et soudain, elle apparaît. Je me doutais qu'elle viendrait. Cheveux courts sur un visage vif aux yeux clairs, je la retrouve semblable à elle-même, ardente et enthousiaste, apparemment remise du deuil de sa mère. Elle est passée devant moi comme un frôlement d'air. Elle est en chemisette, ce qui ne m'étonne qu'à moitié : la pièce est surchauffée.

— Tu l'as ? me lance-t-elle de manière complice.

Il y a des journalistes qu'on ne voit jamais. D'autres au contraire sont très présents. Ils se postent derrière nous. Ils veulent être là, avec l'idée de contrôler que pas un mot ne manque à leur texte. Marianne aime suivre sa production de A à Z. Elle est capable d'en énerver certains tant son inflexion peut paraître insistante. Une fois qu'on la connaît, on s'adapte. Nous nous connaissons bien. Marianne est secrétaire du comité d'entreprise où nous siégeons ensemble depuis cinq ans.

Nous visualisons les photos. Il y en a une vingtaine. Il faut choisir. Elle pose sa main sur mon avant-bras. Elle se presse contre moi comme pour mieux les regarder à l'écran. Je sens la chaleur de sa paume. Elle me glisse à l'oreille, sur le ton de la confession :

— Si tu savais l'histoire de ce papier. Chaque mot est pesé. Un jour, si on a le temps, je te raconterai.

Bien sûr, je ne sais rien de la genèse du texte. J'ignore tout des tractations, des choix, des polémiques qu'il a pu susciter. Et pour moi qui n'ai pas eu le temps de le lire, ce n'est qu'une succession de mots qu'il faut agencer dans la page. J'insiste pour garder une photo accrocheuse en ouverture. Le titre éclate : « QUAND POUTINE TIRE ENCORE LES FICELLES. »

— Laurent, tu peux bien rentrer quelques lignes ! dit-elle en me bousculant gentiment. Elle me touche comme font souvent les Américains pour appuyer un propos, partager une émotion.

— Allez, Laurent, un petit effort ! Je ne t'en demande pas trop...

— Qu'est-ce que tu as avec ce papier ? Ça te rend nerveuse à ce point ?

Elle ne répond pas et répète simplement : « Si tu savais », comme faisant écho à la phrase qu'elle m'a murmurée tout à l'heure. Elle se blottit tendrement contre moi en plaisantant.

— Allez, ne me cherche pas.

Elle me taquine. Je la repousse. Tout cela fait partie du jeu, de ce marchandage singulier pour obtenir un équilibre entre texte et photo. Ces gestes un peu trop tendres, je ne les accepte pas de n'importe qui. De Marianne, oui. On se connaît depuis cinq ans. Et, dans la famille du journal, elle occupe une place importante.

Réticente, elle a fini par raccourcir son texte. Ce n'est pas suffisant, mais le secrétaire de rédaction se chargera du reste.

J'ai terminé. Je glisse le fichier sur le serveur. Mon travail est fini. On n'a plus qu'à attendre le BAT, le bon à tirer. Je la sens encore songeuse quand elle relit ses propres phrases à l'écran. Je me moque gentiment d'elle.

— Tu te fous de moi, me dit-elle en me pinçant le bras. Elle vient se coller contre moi comme elle l'a fait tout à l'heure. Il y a quelque chose d'affectueux dans ces étreintes improvisées, à la fois tendres et exagérées. Je sens son parfum. Elle rit. Un rire reconnaissable entre tous. Bruyant et bref qui rebondit par saccades.

— Si tu savais les galères d'un grand reporter... Toi, tu es un artiste, c'est autre chose !

Je monte au sixième étage pour le dernier contrôle. La porte de l'ascenseur se referme sur des journalistes regroupés devant le mur des maquettes réduites. Ils commentent l'édito très controversé de Daniel Hérault et son soutien en demi-teinte à l'entrée de Jack Lang au gouvernement. Parmi eux, Marianne s'anime encore, son papier à la main.

Quand je sors de l'ascenseur, il n'y a plus qu'une veilleuse qui éclaire faiblement mes pas dans l'enfilade du couloir étroit et tortueux. J'ai l'impression de parcourir le château de la Belle au bois dormant. Des portes ouvertes me laissent apercevoir des bureaux désertés. Jean-Michel est là dans une pièce climatisée truffée d'écrans à faire le lien avec l'imprimerie. Je contrôle la dernière sortie. Pas de problème.

— Ça y est, c'est bâché ! lâche-t-il au téléphone. Dans une minute, par la magie du numérique, le fichier sera transmis à l'imprimerie et, bientôt, ces pages assemblées vont devenir un numéro du Nouvel Observateur, qui sera dès demain dans les kiosques.

Il est 20 h 20.

Je descends les marches de l'escalier de service. J'éprouve le sentiment de la chose accomplie. Un froid sec vient me cueillir sur la place de la Bourse. La brume a des parfums hivernaux. La nuit baigne le monument rectiligne aux colonnes corinthiennes. En face, quelques rares carrés de lumière restent allumés sur la façade de l'AFP.

J'enfourche mon scooter et fonce à travers Paris pour regagner ma banlieue. Lorsque je rentre, Carine vient de coucher les enfants. Je vais les embrasser dans leur lit. Petits êtres soulevés par le doux murmure de leur respiration. J'imagine qu'ils doivent être traversés par des rêves. Dans quelques jours, c'est Noël.

2

Il y a des matins qui tiennent du miracle. J'arrive à effectuer le trajet jusqu'à l'école sans subir ni caprices ni pleurs. Lola ânonne sa poésie en marchant à la limite du trottoir. Et Romain m'énumère les jouets qu'il espère découvrir sous le sapin.

La journée commence bien. J'a...
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