Le point de suspension, roman

Jean Anglade

Les Presses de la Cité

  • Conseillé par
    13 septembre 2013

    Oh temps suspend ma chute !

    Roman mettant en scène et au bout d'un parachute un jeune irlandais Christy O'Behan ayant réalisé le rêve de son père : quitter l'Irlande pour les États-Unis.
    Mais la vie américaine n'est pas forcément ce que tous espèrent. Pour obtenir la nationalité un petit séjour par la guerre du Vietnam aide beaucoup. C'est "le passeport ou le cercueil"et ayant sauté d'un bombardier en feu au dessus du Nord, Christy s'interroge ? Plus dure sera la chute, et le comité d’accueil pas forcément disposé à lui déployer le tapis rouge !
    Durant ces interminables secondes qui, malgré tout, passent trop vite, sa vie défile dans sa tête, son enfance à Costelloe, village perdu de l'Irlande profonde, son père pêcheur et buveur, violoniste de bar payé en liquide. Il meurt noyé avec deux de ses collègues pêcheurs.

    Sa mère seule (enfin ?) qui doit élever sa progéniture mais qui touche de l'argent d'une assurance vie contractée à un moment de lucidité rare par le père ! Et qui en profitera pour ouvrir un petit commerce.
    Christy continue son bonhomme de chemin, vaille que vaille. Chez le père MacCarthy, il découvre l'harmonium de l'église en jouant les morceaux maintes fois entendus interprétés par son père. Il devient coiffeur et après un long apprentissage part à l'aventure, Cork (Corcaigh en gaélique) d'abord, pour lui une grande ville ! Et autre chose l'intrigue, les femmes....il achète un harmonium et fait la connaissance de Thyrza Tweedy, épouse beaucoup plus jeune d'un prêtre anglican dont il devient le coiffeur à domicile ! La musique change de registre....
    Mais par quel destin cruel est-il au bout d'un harnachement suspendu à un parachute tombant sur Hanoï vêtu d'un uniforme américain.....
    Christy O'Behan, voila un nom qui sonne bien et qui est d'après moi, mais je peux me tromper (et je me trompe sûrement), une référence à deux écrivains irlandais ayant un lien avec Crumlin, un des quartiers pauvres de Dublin, Christy Brown et Brendan Behan. Personnage un peu lunaire, il plane et planera jusqu’à la chute finale.
    J'ai déjà parlé et reparlerai du père, mais place à Peggy, sa mère, qui évidement pour compenser les lacunes de son vaurien de mari est, elle, une sainte femme pleine d’abnégation, élevant ses enfants dans la religion catholique et le respect des valeurs irlandaises. Thyrza Tweedy lui fera découvrir les choses de la chaire, mais son initiation est faite dans la confusion par une professionnelle du port de Cork. Thyrza est anglaise, née à Reading et lui parle d'Oscar Wilde !
    Une écriture et un ton très originaux, l'écriture d'abord avec des phrases longues (ce qui n'aide pas pour les extraits), le ton ensuite ; j'ai l'impression d'avoir lu un pastiche de roman rural irlandais. Plus irlandais que ce qu'aurait écrit un natif de l'île verte ! Tous les principaux clichés figurent en bonne place, surtout pour le père Paddy (rien que cela, c'est fort) ! Grand buveur, ne doutant de rien, fort en gueule mais complètement immature, le stéréotype classique.
    Beaucoup d'humour aussi et de dérision qui rendent cette lecture agréable et très divertissante. Une bouffé d'air frais, due surtout à la vitesse de la chute de Christy !
    On en oublie une pratique récurrente de l'histoire américaine, aller faire défendre ses valeurs dans des guerres lointaines par de nouveaux arrivants en échange d'un permis de travail ou d'un passeport pour ceux qui en reviennent!
    À noter quelques expressions bien françaises revues et corrigées pour faire plus couleur locale :
    - Le père Mac Carthy en resta vraiment comme deux ronds de pounding...
    Ou aussi des traductions pour les noms de lieux ou de personnages :
    Bois-de-Lauriers pour Laurelwood, Floride, le sergent Sang de Boeuf pour Cawblood, le capitaine Chemin-Creux pour Holloway, etc....